Jeudi 12 Septembre 2019, dernière étape, nous y voilà, Cartagena. Son nom fait résonner vaisseaux et galions chargés d'or et de pierres précieuses, esclaves débarqués par centaines à l'intérieur de ses murailles bien gardées, batailles à coup de boulets. Mais nous sommes surpris de voir apparaitre en toile de fond bien présente une " skyline" façon Miami dixit fièrement les chauffeurs de taxi. Bocagrande, c'est dans ce quartier moderne que nous allons nous installer quelques jours, le temps de faire partir Philéas. Gaspard a rendez-vous avec le transitaire pour les papiers, demain il laissera Philéas au port. On évite d'y penser, ça signe vraiment la fin.
L'humidité rend la chaleur insupportable, le ciel est couvert souvent, la mer est trop chaude pour se rafraichir mais Aloys profite quand même de la plage en bas de l'appartement. Pas terrible avec son sable gris, sans l'ombre d'un cocotier, on a connu mieux.
Les cargos entrent dans le port, celui-ci doit être le nôtre, à l'heure pour l'instant. Les démarches sont plutôt simples mais longues sans raison apparente, Gaspard passe une grosse matinée à attendre un tampon puis un autre. Philéas obtient ses papiers, il pourra embarquer. Pas de contrôle sur la bouteille de GPL ou la batterie au lithium, la compagnie est bien moins stricte que Grimaldi, celle de l'aller. Mais il faudra revenir avant l'embarquement pour être présent au contrôle de douane le dimanche matin. Encore de longues heures à papoter avec les douaniers qui regardent vaguement deux placards et à attendre le dernier tampon.
Libérés de ces paperasseries administratives nous pouvons commencer à faire quelques pas dans la vieille cité. Il faut être motivés pour affronter la chaleur, on comprend vite qu'il va falloir nous lever très tôt chaque matin pour profiter d'une relative fraicheur. Mais marcher dans les rues est un vrai bonheur. Des fleurs, des couleurs, des balcons en bois, des patios, de belles maisons coloniales et surtout cet art de vivre typique des pays chauds, la nonchalance, les vendeurs de rue, tout incite à ralentir le rythme.
A l'intérieur des remparts les rues débouchent sur de petites places ombragées, les beaux hôtels occupent les maisons bourgeoises et se cachent derrière de lourdes portes en bois cloutées, sous les belles arcades les vendeurs interpellent les passants, un peu trop, le touriste est harcelé, chapeaux, bracelets de pacotille, boissons. Il faut garder le sourire, no gracias. Aloys s'en charge "no necesitamos" "ya tenemos agua" "no tenemos hambre" "a mi mama no le gusta" !
Mais le matin tôt c'est presque seuls qu'on déambule dans le dédale de cette ravissante du XVI ème siècle. La Plaza de los coches, ancien marché aux esclaves, porte de la ville, s'anime en fin de journée, bondée de touristes. Elle abrite maintenant un marché de "dulces", sucreries en tout genre,
La vieille ville n'est pas très grande mais chaque plaza est différente, les rues sont moins rectilignes qu'ailleurs, on peut passer et repasser sans se lasser, à l'affut d'une porte ouverte sur cour, d'un détail, de la couleur d'un bougainvillé.
Tout est bien entretenu intra-muros, un combat permanent contre l'humidité qui ronge tout.
Sous le ciel changeant la ville nous montre ses facettes contrastées. Port important de l'empire colonial, ceinte par 14 km de remparts, dotée d'un arsenal, Carthagène voit transiter l'or arraché aux Indiens et devient une étape obligée entre l'Europe, le Mexique, le Pérou en passant par Saint Domingue. On l'appelle alors Carthagène des Indes car les Espagnols avaient nommés Indes l'Amérique actuelle pensant avoir fait le tour de la terre. Puis lorsqu'ils comprirent qu'ils avaient découvert un nouveau continent ils gardèrent le nom Indes mais ajoutèrent Occidentales.
On se promène sur les remparts très bien conservés mais qui dominent maintenant une flotte de voitures, de bus, de taxis. Ce qui n'empêche pas Aloys de se projeter facilement dans une bataille acharnée contre les pirates qui s'emparaient des richesses transportées, coulant les navires de la flotte des Indes.
Petit arrêt sur la terrasse de l'Alliance Française, Aloys y passerait bien la journée à bouquiner, ceci dit la bibliothèque n'est pas très fournie. Un peu plus loin des indiens descendus de la Sierra Marta vendent leurs sacs en laine nouée, deux mondes se rencontrent. Leur art ancestral perdure tant bien que mal. La chaleur nous pousse dans un taxi climatisé qui nous ramène à l'hôtel. Fin de journée à la playa lorsqu'une légère brise se lève et adoucit l'air ambiant. Le ciel se charge de l'orage du soir qui éclate et dure toute la nuit dans des grondements déchainés.
Ce matin nous prenons un petit peu de hauteur au fort San Felipe, arsenal bien gardé en son temps. Sous terre s'enfoncent des galeries qui gardaient la poudre des canons.
On traverse ensuite un petit parc ne payant pas de mine devant le quartier de Getsemani. Sans abris, saleté, fontaines vides, ça ne donne pas envie. Soudain on voit des petits singes crapahuter dans les arbres, puis d'énormes iguanes et de mignons écureuils flamboyants.
Mais le plus fou ce sont ces paresseux qui se balancent tranquillement, indifférents au bruit de la ville. Le gardien du parc nous explique qu'ils ont été mis ici par la police car ils étaient retenus illégalement chez des particuliers. Tout comme les singes. Un vétérinaire passe régulièrement, les gens du coin apportent des fruits, le gardien leur donne de l'eau. Ils vivent en totale liberté et décident parfois de traverser la rue pour aller voir si les feuilles sont plus vertes ailleurs. C'est fascinant de voir leur drôle de bouille et de les regarder se déplacer lentement ou se grattouiller sans ouvrir les yeux. On passe un long moment à observer cette femelle.
Carthagène joue à fond la carte Caraïbes. Si on croise ces femmes portant des fruits sur leur tête il faut se méfier ! C’est pour le folklore et la photo est payante même de loin ! Je me fais avoir une fois, refuse fermement de payer mais je propose d'acheter un ananas qu'elles veulent me vendre à prix d'or. On tourne les talons.
Getsemani était un quartier pauvre. Réhabilité, bohème, il attire beaucoup les touristes. Les rues fleuries, les restos locaux dans de petites cours, les fresques sur les murs, on aime bien.
C'est d'ici qu'a soufflé le vent de la libération nous explique un habitant du quartier avec lequel on discute à l'ombre.
A peine rafraichis par une limonada fresca servie dans un petit patio on poursuit notre promenade en se laissant porter dans la ville.
Au coucher du soleil on retourne sur les remparts. Le cafe del Mar est pris d'assaut. C'est the place to be à cette heure-ci. Musique planante, cocktails hors de prix (pour la Colombie) mais vue sur l'astre. Une légère brise venue du large achève de nous convaincre ainsi que la promesse d'un pisco sour bien frappé !
Et à peine partis on y revient avec des copains voyageurs ! Carthagène est l'étape obligée de ceux qui rentrent en Europe et de ceux qui continuent par l'Amérique Centrale. Pas de route pour traverser la région hostile du Darien entre Colombie et Panama, cette jungle impénétrable qui abrite les trafiquants. Tout le monde attend son bateau, un temps pour se dire au revoir, se souvenir des bons moments avec une grosse pointe de nostalgie bien sûr...
Et après ces quelques jours au bout de ce sublime continent Sud Américain c'est avec une certaine émotion que nous décidons de passer notre dernière soirée tous les trois. Pas de tristesse, on l'a fait, nous en sommes fiers. Mais une pointe de stress à l'idée de quitter ce rythme de vie pour l'inconnu. Il y a 18 mois on stressait pour les mêmes raisons lorsqu'on embarquait pour la première fois dans Philéas ! Cet inconnu est devenu notre quotidien, il n'y a plus qu'à attendre la suite et s'y adapter aussi vite ... Demain est Avenir ! Mais au fait, où va-t-on demain ? Suite au prochain épisode.
SALUD !