Samedi 1er Juin 2019, Chan Chan, Soleil Soleil, fantastique et originale capitale en adobe du royaume Chimu. Au bord de la mer, au nord du Pérou, près de la ville de Trujillo, elle étend ses ruines d'argile, fragile beauté à la merci des vents et des caprices du temps.
A partir du IXème siècle et jusqu'à leur conquête par les Incas, les Chimu qui ont succédé aux Mochica, élèvent une cité entièrement en terre, nouveau témoignage de l'adaptation de l'homme à son milieu.
Un biringo en garde l'entrée. Ce chien a la particularité d'être nu comme un ver, pas un poil sur le caillou hormis une touffe entre les yeux. Et sa température est plus élevée que ses congénères ce qui en fait une agréable bouillotte dit-on. Inutile aujourd'hui, le soleil tape déjà très fort.
Depuis des siècles ChanChan subit l'érosion inévitable du climat, les épisodes El Niño rongent peu à peu la plus grande ville en terre du monde pré-hispanique.
Ses murs atteignaient pourtant les 12 mètres de haut. En briques de terre recouvertes d'un enduit ils étaient conçus pour résister aux séismes.
Sur 20 km² s'élevaient neuf palais, chacun construit pour un seigneur qui, lorsqu'il mourait, y était enterré. Son successeur en faisait alors construire un nouveau. Chaque palais était séparé en plusieurs fonctions, résidentielle, administrative, religieuse, funéraire. L'eau provenait des vallées fertiles proches par un système de canalisation, de puits, de bassins. Des ateliers fabriquaient les poteries, les tissages nécessaires à la vie quotidienne.
Les murs étaient sculptés de formes géométriques ou abstraites, de poissons, de pélicans et de petits écureuils. Le palais-ville devait être magnifique.
Nous déambulons dans ce palais de terre si différent de ce que nous avions vu jusqu'à présent. C'est le seul rescapé de cette immense ville, colosse au pied d'argile que l'Unesco tente de conserver en le relevant à l'aide de matériaux et de techniques identiques à celles d'autrefois. Sous ses airs de facilité la brique d'adobe doit être bien conçue pour résister au temps.
C'est étrange d'aller faire une pause courses dans un temple de la consommation de notre monde moderne si près de là. Entre cuy (prononcer "couille"si, si !) sous vide et Inca Cola, la boisson nationale (on ne goûtera pas !), on retrouve quand même les produits de base dont le joli maïs morada qui sert à fabriquer une boisson typique non fermentée, la chicha morada. Cet épi violet se fait bouillir avec des épluchures d'ananas, un peu de canelle, des clous de girofle, des pommes aussi. Cette décoction se boit bien fraiche avec du sucre de canne et du jus de citron. Elle est servi en carafe dans tous les restaurants et c'est délicieux. Bien plus que l'horrible eau jaune fluo au goût de bonbon chimique, star nationale que l'on retrouve par centaine, vide, sur les bas-côté des routes et sur les plages ...
Retour chez les Chimu dans le petit musée du site. Aloys râle un peu, on accélère la visite tout en s'extasiant sur ces statues qui ont toutes leurs oreilles !
Et on l'emmène sur la plage de Huacachina voir les pirogues en totora utilisées par les Chimu, peuple de la mer. Les pêcheurs d'aujourd'hui poursuivent cette pratique peu intensive de la pêche !
Ceci fait, il peut se défouler un peu . Qu'il en profite, demain ... visite archéologique !
Dimanche 2 Janvier 2019, bond dans le temps, nous partons au début de notre ère chez les Mochica. Peuple côtier du Nord, contemporain du peuple Nazca qui lui occupait la côte Sud. Sous leur civilisation apparaissent des pyramides tronquées, héritage de Chavin. Ces pyramides, les Huacas, construites en adobe, matériau emblématique de la région, sont les sièges du pouvoir politique et religieux. Sur le site de Cao, perdu au bord de la mer, une pyramide a livré un secret. La tombe intacte d'une femme manifestement très importante. Reine ou guérisseuse, elle devait tenir un rôle puissant ce qui remet en question la place de la femme dans ces cultures anciennes.
Ici aussi veille le biringo, bon chien de garde.
De la forme de la pyramide il ne reste pas grand-chose, un gros tas de sable. Tout se passe à l'intérieur. Construite en couches successives, la première, la plus ancienne, recouverte quelques générations plus tard par un nouvel étage (sans doute dans un but de rénovation) et ainsi de suite au fil des siècles. Sept étages composent Huaca Cao Viejo.
Les fresque gravées et peintes montrent un défilé de guerriers et de prisonniers, les Mochicas sont un peuple de combattants qui coupaient la tête de leurs ennemis et offraient leur sang à leur dieu voir à leur souverain qui le buvait dans une coupe spécifique.
On franchit quelques siècles en montant. Les fresques sont encore intactes. Des tombes sont creusées dans le sol et recouvertes de bois.
C'est dans l'une d'entre elles qu'on a trouvé la Dame de Cao en 2004. Enterrée en grand apparat il y a 1700 ans, enveloppée dans des centaines de mètres de tissu de coton. Son corps, jeune, environ 30 ans, porte encore cheveux et peau en partie tatouée de serpents et d'araignées. Bijoux en or, coiffes en cuivre recouvert d'or mais aussi armes de guerre et sceptres laissent penser que c'était bien une souveraine qui reposait ici. Sa momie est exposée au musée mais les photos sont interdites.
Une reconstitution de son visage modelé d'après son squelette et les traits des gens du coin permet d'avoir une idée assez fiable de ce qu'elle était.
Alan, le directeur du site rencontré hier soir lorsque nous sommes arrivés dans le village de Cao, nous emmène faire un petit tour du côté d'une autre pyramide toute proche, la Huaca Cortada ou El Brujo, le sorcier. Les huaqueros, les pilleurs de tombes, ont sondé le terrain. Partout des creux dans le sable témoignent de leur avidité. Et ce fossé qui coupe la pyramide est peut-être leur œuvre. Mais maintenant le site est gardé jour et nuit par des hommes armés. Cette pyramide rapidement sondée par les archéologues date de la même période que l'autre et comporte aussi des frises gravées. Mais il y a encore beaucoup à faire pour en découvrir les secrets.
Curieusement les ruines en adobe d'une église coloniale jouxtent la pyramide de la Dame de Cao. Elle n'aura pas résisté bien longtemps, un seul séisme l'a mise à terre.
Merci à notre guide adorable, Araceli ! Et un grand merci à Alan de nous avoir ouvert les portes de son travail passionnant, de nous avoir montré une tunique en cours de restauration, de nous avoir fait partager ses espoirs. Suerte Alan !
Nous continuons vers le nord à la recherche d'autres trésors !
Il fait tout juste nuit lorsque nous trouvons le musée de Sipan. En pleine nature, son parking gardé par la police nous fait un campement idéal. Pour y arriver nous avons traversé quelques petits pueblos pas très reluisants. Au bout de l'un d'entre eux, une surprise de taille. Un contrôle du poids du véhicule ! C'est la première fois que ça nous arrive et il faut que ce soit au milieu de nul part, là où commence la piste qui va vers Sipan, à 18 h ! On rêve et on stresse !!! Philéas est au-dessus de la norme autorisée, on le sait et c'est la même chose pour tous les camping-car autour du monde. On se demande ce qui va se passer. Un officier souriant laisse faire trois jeunes, manifestement en apprentissage. Philéas passe sur la balance que deux jeunes filles contrôlent. Le garçon prend la carte grise et la scrute. Au bout de quelques secondes qui nous semblent des heures et concertation avec ses acolytes il nous fait un grand sourire: tout est ok. On a du mal à y croire. Ils n'ont pas su lire !
Après une nuit parfaitement tranquille et sûre et une journée à l'ombre des arbres à regarder passer les bus remplis de collégiens qui font le bonheur d'Aloys, nous poussons enfin la porte du musée.
A Sipan une pyramide Mochica, la Huaca Rajada, plus ancienne que celle de Cao, a livré un fabuleux trésor découvert en 1986. Des tombes intactes sur un site jamais fouillé par les huaqueros. Parmi elles, celle du Seigneur de Sipan, un souverain inhumé avec tous ses bijoux et ornements d'apparat qui aurait régné au IIIème siècle et serait mort à 40 ans. Plus ancien encore, son aïeul, le vieux seigneur de Sipan, qui aurait régné une centaine d'années avant lui. Ce trésor n'est pas ici mais exposé à quelques kilomètres dans la ville de Lambayeque tout près de Chiclayo. Ici c'est plutôt l'histoire de la découverte de la pyramide qui est retracée. Les conquistadors sont passés devant sans comprendre ce qu'était ce gros tas de sable.
le musée expose trois squelettes de hauts dignitaires, quelques objets et la reconstitution d'une tombe, de quoi commencer à comprendre comment les Mochica abordaient la mort et la vie dans l'Au-delà.
Aloys en ayant un peu marre et préférant jouer dehors je reste avec lui tandis que Gaspard poursuit la visite sur le lieu où ont été trouvées les tombes, la Huaca Rajada. On passe une nouvelle nuit bien gardés sur le parking du musée et une journée supplémentaire consacrée au blog, à l'école et mille autres petites choses car nous sommes lundi, le musée de Lambayeque est fermé.
Mardi 4 Juin 2019, ce sera notre dernier musée péruvien, l'apothéose ! A Lambayeque le contenu des tombes royales de Sipan a été parfaitement mis en valeur dans une structure qui emmène le visiteur dans un voyage extraordinaire au cœur d'une pyramide dont on descend progressivement les degrés pour enfin atteindre le trésor. Il est strictement interdit de photographier quoi que ce soit, les sacs sont laissés à la consigne, c'est donc les mains dans les poches que nous entrons par le haut du bâtiment pour une visite inoubliable.
Le trésor c'est plus de 2 000 œuvres en or, plus de 400 bijoux en or, argent, lapis-lazuli, turquoise, cuivre doré, des céramiques magnifiques, des bijoux en coquillages d'une finesse extraordinaire, des bijoux en plumes, des sceptres, des couronnes, des plastrons.
On apprend que le souverain était enterré avec trois femmes, deux lamas, un enfant en position assise, un chien, un soldat et un gardien aux pieds coupés pour ne pas s'enfuir ! Le seigneur ne faisait donc pas son grand voyage tout seul. Les proches buvaient probablement une potion mortelle, persuadés qu'ils allaient s'endormir et se réveiller paisiblement dans l'autre monde pour une autre vie toujours à côté du seigneur. Ainsi ils partaient munis de vivres, de boissons, de jarres en grandes quantité et de tous leurs biens.
La finesse des bijoux est incroyable. Ils sont réalisés en doublon, or et argent pour représenter la dualité, une notion très importante.
Cette collection est une merveille, à découvrir dans une ambiance sombre et feutrée. Si Aloys n'avait pas trépigné pour sortir faire pipi nous y serions encore !
Des sites à explorer il y en a encore, plein ! Nous hésitons à retourner dans la Cordillère, à Chachapoyas et sur le site de Kuelap, une forteresse du X ème siècle. Mais faire un aller-retour à plus de 3000 m d'altitude ne nous tente pas. Aloys a moins de patience dans les musées, il en a un peu marre et on le comprend. On en a déjà tellement vu. Allez, cap plus au nord. Le soleil a remplacé la brume. Les coupeurs de canne à sucre annoncent la couleur. Dans les champs brûlés pour enlever les feuilles, visages et vêtements noircis par la fumée, d'un coup de machette ils font tomber les cannes, un travail pénible mais qui occupe la majorité des hommes des modestes pueblos. Nous nous sentons déjà loin des plateaux Andins dans lesquels nous venons de passer trois mois.