Vendredi 3 Mai 2019, on tourne le dos à la vallée, aux villages nichés dans ses replis.
Partout dans les campagnes du Pérou on écrit sur les murs le nom de ceux qu'on aime ... enfin de ceux pour lesquels il faut voter. Panneaux électoraux bon marché qui couvrent les murs en adobe blanchis.
Rapidement nous arrivons à Cuzco, sur les hauteurs. On s'installe au camping, à deux kilomètres du centre de la ville. Il suffit de suivre la route des eucalyptus en espérant ne pas se faire percuter par les taxis et mini-bus qui descendent à toute vitesse.
Cuzco a conservé le charme de son passé colonial, elle étend ses toitures en tuiles à plus de 3300 m d'altitude, promesse d'une jolie virée au milieu de ses bâtiments à l'histoire bien ancrée dans le sol car construits sur les fondations de la cité Inca jadis capitale rayonnante d'un royaume qui s'étendait de la Colombie jusqu'au Chili. Comme tous les chemins menaient à Rome, tous les chemins des Incas menaient à Qosqo. Palais et temples richement décorés furent détruits et pillés, remplacés par d'innombrables églises mais le magnifique et titanesque travail des Incas bâtisseurs jamais effacé complètement. En 1572 l'Inca Tupac Amaruc y fût exécuté avec femme et enfants, l'Empire de la Couronne remplaçait définitivement l'Empire du Soleil.
On descend les pentes raides en suivant la ligne des hauts trottoirs, des débords des toitures et des murs en pierres sous un soleil qui joue avec les ombres et la blancheur des murs.
On débouche sur une petite place, ici commence la ville et ses joies. Les costumes traditionnels sont réjouissants pour les yeux. Mais gare à la photo de face, le voyageur ayant toute l'apparence du touriste il en subit aussi toutes les contraintes en l’occurrence le porte-monnaie ouvert et la pièce à la main ...
Mieux vaut se réfugier dans la paix des musées, en particulier celui-ci abrité dans une belle demeure coloniale et retraçant l'histoire de l'art des nombreux peuples ayant participé à l'essor du Pérou. Aloys, lui, est plus inspiré par l'art du tissage.
Sur la Plaza de Armas une drôle de procession arrive dans un joyeux foutoir, hommes se bousculant pour porter une croix au son d'une banda et de gens qui dansent, c'est la célébration de la Cruz , des pétards résonnent dans les hauts quartiers, de la musique tout sauf catholique entraîne des groupes genre majorettes, on a du mal à comprendre la signification de tout ça.
Samedi 4 Mai 2019, nouvelle journée pour retourner flâner en ville. Le centre n'est pas très grand mais hier nous avons démarré tard et la nuit tombe tôt. Nous sommes rentrés en taxi au camping après avoir visité le musée consacré à la découverte du Machu Picchu. Toute la nuit les Cusquéniens ont fêté la Cruz à grands coups de pétards et d'enceintes poussées à fond ...
Il y a toujours du monde à Cuzco, les touristes sont harcelés par les vendeurs de rue. Massages, menus des restaurants, lamas en plastiques, boissons sucrées, tours en bus, tout y passe et Cuzco perd un peu son âme dans ce mélange des genres. Mais heureusement pas complètement, pas encore.
Mais la grande et belle Plaza de Armas a retrouvé un peu de calme. Cœur du Cuzco d'hier et celui d'aujourd'hui cet endroit était un marais asséché par les Incas puis transformé petit à petit en centre administratif, culturel et religieux, rayonnement de leur empire.
Trois palais l'entouraient, ceux de Pachacutec, Huayna Cápac y Viracocha Inca. Ici se célébraient les grandes fêtes dont celle de l'Inti Raymi, le soleil, le 24 Juin, jour du solstice. Très importante pour les Incas elle marquait le début de l'année et durait neufs jours pendant lesquels il y avait des danses et des sacrifices. Les quelques cent mille habitants de la ville participaient aux cérémonies ainsi que les chefs, vassaux, nobles de tout l'empire. Chacun venait paré de ses plus beaux atours. L'Inca et sa famille jeûnaient pendant trois jours avant de recevoir les rayons du soleil. De nombreuses bêtes étaient alors sacrifiées et données en nourriture à la population. Je ne sais pas ce qui se passait s'il n'y avait pas de soleil ce jour là.Le dernier Inti Raymi en présence d'un empereur Inca a eu lieu en 1535. Interdit en 1572 par les conquistadors il a continué à être célébré secrètement et aujourd'hui les indiens Quechua et Aymaras le fêtent encore de manière traditionnelle. A Cuzco c'est devenu une grosse fête touristique.
Les espagnols ont multiplié les constructions d'églises pour effacer toutes traces païennes. La Cathédrale et l'église de la Compagnie de Jésus s'élèvent côte à côte tandis que le reste de la place est bordée de belles arcades et de balcons ouvragés. Aujourd'hui, Mac'do, Starbuck et autres chaines à touristes se cachent derrière les beaux murs coloniaux ...
Heureusement il reste les indétrônables fondements des Incas et leur incroyable travail de taille qui permet aux énormes blocs de tenir entre eux sans l'ombre d'un brin de ciment. Les pierres possèdent des angles qui s'imbriquent à la perfection. Dans le mur d'une ruelle on cherche la pierre qui possède 12 angles et on en admire toute la complexité et l'utilité anti-sismique.
Le quartier de San Blas s'élève au-dessus de la Plaza. Ravissante plongée dans le calme des rues piétonnes après le brouhaha d'en-bas.
San Blas c'est le balcon de Cuzco mais comme tous les balcons il faut y monter et à 3400 m d'altitude on est vite à court de souffle.
La moindre distraction est une excuse pour se reposer. Ce vendeur est bien placé, il aura droit à sa pièce ! Avec Aloys il faudrait de toute façon donner tout le temps et à tout le monde, on aimerait bien !
A San Blas le temps s'est figé entremêlant ses passés. Humilité de l'adobe contre linteaux sculptés.
Pause française ! à la carte le chef propose une ... raclette ! Dans la rue Aloys a vu le menu, impossible de le déloger d'ici ! Et les yeux de son père brillent aussi fort que les siens ! Dans la petite salle, Piaf en sourdine, on se sent vite comme à la maison.
Une odeur insoutenable de pain frais ... Sylvain, chef en vadrouille plein de projets, fait des essais aux divines effluves et offre à un Aloys au paradis une baguette qui restera en vie 10 mn ! merci Sylvainchef !
Lundi 6 Mai 2019, après un dimanche pluvieux et studieux c'est déjà l'heure des adieux. Toujours difficiles. L'avion décolle à l'heure et emmène notre Auxence vers la France. C'est un grand vide dans Philéas mais un grand bonheur d'avoir pu partager avec lui une petite partie de cette aventure. Un dîner franco-suisse s'improvise au camping dans la fraicheur de la nuit, quelques verres bienvenus !
Mardi 7 Mai 2019, le camping possède un lave-linge, il fait un temps de rêve. Mais les tâches ménagères ne durent jamais longtemps, on a quand même mieux à faire. On repart flâner, on pousse la porte de beaux hôtels, on admire le mélange des genres, l'hispano-inca si typique de cette jolie Péruvienne.
Et on termine au marché San Pedro, car c'est toujours là que bat le cœur des villes.
Fruits tropicaux en direct de la Selva pour une cure ultra-vitaminée mais, méfiants, nous résistons à la tentation...
Oui, il y a du fromage au Pérou, bien caractéristique avec sa croûte dentelée. Mais il n'a pas beaucoup de goût, grosse faute pour un français habitué au délicieux fumet d'un camembert bien fait.
Pain mou sous plastique et fromages mous sous plastique, pas tentés !
Dans les Andes le choclo est roi. Maïs blanc au gros grains juteux, il est cuit et servi chaud dans un sac avec une tranche de fromage frais. On en trouve à tous les coins de rue et au bord des routes pour un en-cas plus sain que la couenne de porc frite !
On trouve aussi l'inévitable amoncellement de potions diverses, graines en tout genre, ingrédients mystérieux, ceux qui font vraiment voyager l'imaginaire, ceux dont la vue rebute, attire, fait rire. On pose des questions mais les réponses marmonnées en Quechua par les vendeuses âgées ne sont pas compréhensibles, on repart avec nos interrogations et nos mille suppositions.
Mercredi 8 Mai 2019, dernier regard sur les toits, on s'arrache au charme de Cuzco.
On passe devant les ruines de Sacqsaywaman, forteresse Inca et centre religieux du XIII eme siècle dominant la ville. Les blocs monolithiques qui composent les murs pèsent jusqu'à 200 tonnes et les archéologues se demandent encore comment ont fait les Incas pour les transporter jusqu'ici, un exploit.
On a tellement aimé la Vallée Sacrée qu'on part s'y mettre au vert. On attend Solène, une amie rencontrée en Argentine, qui arrive à Cuzco Vendredi et doit nous rejoindre. La campagne est tellement jolie, les champs composent des tableaux plein de couleurs.
La quinoa y pousse depuis des millénaires, base de l'alimentation des civilisations pré-colombiennes, "mère de tous les grains" disaient les Incas. Son délicieux petit goût de noisette est un régal. Et ses inflorescences illuminent le paysage.
Au bord du lac Huaypo nous plongeons au cœur de la vie paysanne Andine où rien ne change au fil des siècles ou presque. Il se dégage de ce lieu une sérénité et une douceur vraiment particulière.
Gaspard part faire un repérage à vélo et se fait un copain sur la route. Il nous conseille un coin tranquille un peu plus en hauteur sur le lac au bout d'un petit chemin sans issue.
On apprécie tellement ces moments où l'on se sent en sécurité, en pleine nature. Les journées s'écoulent dans un grand sentiment de liberté. Jamais on ne s'ennuie. Les matinées passent vite, rythmées par l'école pour Aloys et moi, le petit bricolage pour Gaspard. Je cuisine un peu plus, on bouquine, Aloys peut sortir ses Playmos sans que je lui demande de tout ranger au bout de dix minutes car on doit partir. On bouge tout le temps et on aime ça mais ça fait du bien aussi de retrouver les réflexes d'une vie "sédentaire".
Et quand en plus on partage ces moments c'est encore meilleur ! Solène est venue nous rejoindre, elle aussi a besoin de se poser. On ne l'avait pas revu depuis Noël à El Chalten en Argentine. Elle nous manquait ! Sacrée Solène et son petit van qui n'ont peur de rien ! On passe deux belles journées ensemble, c'est court mais c'est intense. Elle redescend vers le Chili, on part vers le Nord du Pérou mais on ne sait jamais, avec les voyageurs tout est possible, nos routes se recroiserons, peut-être. C'est dur de lui dire au revoir, comme tous ceux auxquels nous nous sommes attachés au fil des mois. On resterait bien là, éternellement, dans la douceur de ces instants fugaces. Mais l'âme vagabonde nous pousse vers l'ailleurs, encore.