Vendredi 29 Mars 2019, nous passons dans les embouteillages et les fumées noires del Alto, le haut de la ville de la Paz pour filer directement vers la quiétude du lac Titicaca. Nous sommes à 3800 m d'altitude devant une véritable mer intérieure de presque 200 km de long et 110 de large à cheval entre Bolivie et Pérou. Un lac mythique, berceau de la civilisation des Incas, un lac parsemé d'iles tranquilles et de légendes. Titijaja en langue Aymaras, Titicaca en langue Quechua, signifie Puma de pierre. Il y a peu la NASA a découvert grâce à une photo satellite du lac prise par l'Est qu'il avait la forme d'un puma attrapant une proie ! Comment les indiens pouvaient-ils le savoir ? Mystère.
Nous y passons une première nuit avant de rouler vers la petite ville de Copacabana située juste à côté de la frontière Péruvienne.
Copacabana est sur une presqu'île reliée à la terre côté Pérou. Il faut prendre un bac côté Bolivie pour traverser le détroit de Tiquina qui sépare les deux lacs formant le Titicaca, le Chuquito et l'Ingavi. En arrivant on cherche le bac ...
Mais à part ces espèces de radeaux de bric et de broc on ne voit rien d'autre ...
Et pourtant un bus s'engage dessus et on nous demande de mettre Philéas derrière lui. Je rigole. C'est une blague ! Le type de l'embarquement me dit qu'il n'y a aucun danger ... N'ayant pas le choix on s'y engage en serrant les dents.
Et le "quai" s'éloigne ...
Gaspard inspecte quand même le fond de la barge mais de toute façon c'est trop tard, nous sommes déjà au milieu du détroit. L'eau ne dépasse pas les 10° 12°... Heureusement la rive d'en face est assez proche, à 800 m. La barge grince et se tord mais le "capitaine" reste impassible. C'est plutôt bon signe, on ne coulera peut-être pas aujourd'hui par 500 m de fond.
Tiens, la Bolivie a gardé une Marine ? Ils s'entrainent sur le lac en prévision du jour où le Chili leur rendra un accès à la mer. L'espoir fait vivre.
Après une bonne dizaine de minutes de grincements et de craquements c'est enfin la délivrance en atteignant la rive d'en face, San Pedro de Tiquina. Pas de tarif affiché, c'est à la tête du client ... On paie finalement (après longue négociation) 50 Bolivianos (6,50 euros), le juste prix selon le chauffeur du bus devant nous. On a rencontré des voyageurs délesté de 80 Bol pour le même trajet ...
Plus à l'aise sur la terre ferme Philéas avale les derniers virages de la route sinueuse qui surplombe le lac et Copacabana se dévoile. Rien à voir avec son homonyme Brésilienne. Ici pas de samba ni de Caïpirinha mais l'ambiance d'une petite ville très touristique et un peu déglinguée avec des dizaines de constructions en briques jamais terminées comme dans tout le pays.
Son petit centre est à moitié occupé par une basilique toute blanche !
On se gare et on repère vite un petit resto sur les hauteurs. Vue imprenable sur la "plage" envahie par des pédalos moches !
Dans le jardin un peu "kitch" on craque pour un bébé alpaga après un déjeuner qu'il faut digérer, Cyriaque ayant opté pour le menu fondue !!! Pas si mauvaise, au gruyère. Rien à voir quand même avec la vraie.
Construite au XVI ème siècle la Basilique abrite la statue de ND de Copacabana, patronne de la Bolivie. Photos interdites à l'intérieur. Immense dans ce petit pueblo elle dénote par sa blancheur immaculée et ses dômes vernissés.
Les souvenirs abondent partout, à chaque coin de rue on trouve des étalages colorés.
On jette un coup d’œil au bord du lac où on trouve un petit camping qui accepte de nous vendre de l'eau pour remplir nos réservoirs. Curieusement l'eau est un problème ici. On apprend que le lac est légèrement salé, le traitement de l'eau coûte donc très cher et les habitants sont rationnés.
On décide de prendre une piste pour aller dormir au bout de la presqu'île dans le petit pueblo de Yampupata juste en face de l'Isla del Sol, là où tout a commencé pour les Incas.
Nous longeons le lac au bleu profond en fin de journée et arrivons à Yampupata juste avant la nuit. Un pêcheur nous accueille et nous propose de nous emmener sur l'Isla del Sol le lendemain matin.
Samedi 30 Mars 2019, réveil matinal coloré, les pêcheurs sont rentrés, les femmes récupèrent les petits poissons, les filets ne croulent pas sous le poids des prises aujourd'hui.
Le ciel se charge un peu, les barques n'en deviennent que plus colorées.
Nous laissons Philéas à la curiosité discrète des habitants et embarquons pour une courte traversée vers l'Isla del Sol.
On se croirait plus sur une île Grecque qu'au milieu de la Cordillère des Andes à 3800 m au-dessus du niveau de la mer !
Au Quaternaire un immense lac se forme dans la Cordillère. Grand comme presque quatre fois la Suisse il recouvre entièrement les immenses vallées de l'Altiplano Bolivien et Péruvien actuel. C'est le lac Ballivian. Puis la terre se réchauffe et le lac s'assèche. Ne subsiste que le Titicaca, la partie nord du Ballivian, alimenté par les pluies et les rivières.
L'île est le berceau des Incas, le lac étant le lieu de naissance d'Inti, le soleil et de Mamaquilla, la lune. Habité par le dieu Viracocha, le dieu suprême qui créa Manco Capac et Mama Ocllo, les premiers Incas. On accoste au pied d'une pente abrupte en haut de laquelle se situent les modestes ruines du palais de l'Inca Tupac Yupanqui construit au XVème siècle. Isla del Sol regorge de ruines malheureusement situées au Nord de l'île bloquée par un conflit financier qui oppose les différentes communautés. L'accès est interdit depuis deux ans.
Nous grimpons vers le haut du rocher, le souffle court, éprouvé par l'altitude. Il faut payer la boleta, l'entrée sur l'île, ça nous permet de faire une petite pause.
Le palais de Pilkokaina comprenait deux étages, seul le premier est encore intacte avec ses portes typiques trapézoïdales. Tupac Yupanqui l'utilisait lorsqu'il venait de Cusco en pèlerinage. La vue était plutôt pas mal.
Il faut grimper encore pour rejoindre le sentier qui longe la crête et mène au village de Yumani. De là-haut la vue embrasse le lac et les terrasses de cultures qui couvrent l'île.
Sur le sentier nous avons la surprise de rencontrer une famille française déjà croisée à plusieurs reprise, les Arc en Ciel. Nous papotons un moment mais eux continuent vers les ruines tandis que nous avançons vers le petit village qui s'étage sur la colline.
Les habitants vivent du tourisme et les enfants sont déjà bien rodés à l'exercice. Alors que je prends une photo de ces adorables bambins et leurs bébés alpagas qui marchent seuls sur un chemin la petite fille me réclame de l'argent ...
On se promène tranquillement sur les chemins du haut du pueblo.
En contrebas un joli jardin botanique tout en terrasses, le jardin de l'inca.
Un escalier de l'époque inca descend vers le bord du lac. 500 marches bien ardues. Trois sources jaillissent et alimentent les villageois en eau mais ils sont obligés de venir la chercher chaque jour à la fontaine symbolisant les trois piliers de la loi Inca : ne pas voler, ne pas mentir, ne pas être paresseux. Mieux vaut en effet ne pas connaitre la paresse, les marches sont très raides et la corvée quotidienne de l'eau bien difficile.
Manco Capac et Mama Ocllo ont pris un coup de kitch ! Manco Capac tient le sceptre d'or qui lui montrera où fonder son empire. Au terme d'une longue marche c'est à Cusco que le sceptre s'enfoncera dans la terre et disparaitra. Ainsi est née "le nombril du monde"d'où rayonnera l'empire Inca.
Au fond d'un petit port sommeille un bateau en Totora, jonc du lac, embarcation typique des Aymaras qui pêchent et se déplacent avec.
Le menu du lac Titicaca tourne autour de la truite. Introduite du Canada pour donner aux indiens un meilleur apport en protéines. La trucha est maintenant élevée en bassin dans le lac et sert de poisson bon marché pour les touristes. Accompagnée d'une délicieuse soupe de quinoa et de pommes de terre ou riz. Mais l'incontournable reste une bonne cerveza muy fresca avec vue !
L'eau de la source serait la fontaine de Jouvence selon une légende, on le croit en voyant cette dame crapahuter sur les sentiers. Les femmes montrent qu'elles entretiennent les traditions mais nous ne sommes pas dupes, les tissages sont mécaniques, tout vient de l'usine à souvenirs.
Nous reprenons le bateau avec notre pêcheur qui nous a attendu sur le quai. Quelques minutes pour savourer la balade dans le vent naissant.
Demi-tour vers Copacabana. Le temps est magnifique, le bleu du lac, intense.
Grâce au climat particulier le mais réussit à pousser malgré l'altitude.
En "ville" le devant de la Basilique est envahi de stands remplis de "chinoiseries". De fausses bouteilles de champagne, des fleurs en plastique, des guirlandes criardes. Une voiture est décorée, il y a des confettis par terre. Un mariage ? Non, c'est le jour de la bénédiction des véhicules ! Il parait que ça remplace les assurances ! Bénis, les conducteurs s'autorisent tous les écarts de conduite !
Une caverne d'Ali Baba du chapeau me fait de l’œil. J'embarque Cyriaque pour une séance d'essayage et on finit par dénicher celui qui remplacera avantageusement sa casquette ! Made in Bolivia, fait main, pour l'équivalent de 10 euros.
Les Boliviens raffolent d'un genre de gros maïs soufflé légèrement sucré vendu par sacs entiers pour quelques Bolivianos. On trouve aussi une multitude de fruits secs et cacahuètes dans leur coque mais le prix "touriste" n'est pas donné !
Au marché deux seaux m'intriguent. Blanc ou noir c'est le chuño, la moraya, pomme de terre déshydratée des Andes. Une manière de conserver les tubercules pendant plusieurs années. Le chuño noir s'obtient en faisant geler les pommes de terre la nuit puis en les exposant au soleil le jour. On les foule ensuite au pied pour en extraire l'eau. Ceci plusieurs jour de suite. Le chuño blanc ou tunta se fait de la même façon mais les pommes de terre trempent ensuite dans l'eau du lac pendant plusieurs jours ce qui garde leur couleur blanche. Pour les consommer il faut les réhydrater plusieurs heures puis les cuisiner en soupe ou avec du fromage. Pas très appétissant mais ce mode de conservation permettait aux Incas de conserver de grandes quantités de pommes de terre pour les cas de disette.
Les pommes de terre il y en a au moins 3000 variétés ! Elles poussent à l'état sauvage dans les Andes depuis 8000 ans. Et elles se cultivent jusqu'à 4500 m d'altitude. Du pain béni pour les habitants de la Cordillère.
En attendant que le cordonnier s'occupe des deux paires de chaussures d'Aloys il sort le jeu de fléchettes et propose des parties aux enfants qui passent par là ! Succès immédiat !
Dimanche 31 Mars 2019, scènes matinales au bord du lac ... je passe un long moment à regarder ces femmes et leurs gestes assurés tant de fois répétés. L'air est doux sous les nuages. Chaque jour une énorme quantité d'eau très légèrement salée s'évapore créant un climat particulier. Le ciel se charge mais le vent léger les chasse vite.
L'après-midi ensoleillé donne aux garçons des envies d'évasion. Et comme le ridicule ne tue pas ils partent à l'assaut du Titicaca sur un cygne pédalo ! On a réussi à éviter le Donald !
La ville n'est pas très belle, la plage plutôt moche, les ruelles encombrées des habitants de La Paz venus pour le week-end mais il y a un je ne sais quoi qui fait que l'on s'y sent bien. Ce je ne sais quoi doit être le charme du Titicaca, son mystère, ses légendes. On raconte que le trésor des Incas y repose au fond, que l'Atlantide c'est ici, de quoi laisser le regard sonder les profondeurs.
Et je sonde tellement le lac que j'en oublie mon sens critique ... je choisi la vue plutôt que les conseils de Cyriaque qui m'affirme que ce restaurant est le pire de Copacabana ... le pire du monde entier, on confirme !
Lundi 1er Avril 2019, après une matinée studieuse et un déjeuner rapide on quitte ce petit coin de Bolivie qui a retrouvé son calme ce matin.
La vue est toujours aussi belle de la route qui nous ramène vers le détroit de Tiquina.
Et rebelote pour le bac qui grince et qui crisse ...
On cherche de l'eau à Huatajata mais la petite station-service du village est à sec. Un monsieur nous entendant discuter avec la pompiste nous demande de le suivre, il habite à côté et nous offre son robinet pour remplir nos cuves ! Il nous invite chez lui, sa femme nous prépare un matecito, un goûter, on discute un moment avec ces gens adorables. On a du mal à partir mais la nuit tombe et on sait qu'ils doivent se lever tôt. Plein d'eau mais surtout plein d'émotions. Merci mille fois à cette famille généreuse et si gentille.
Mardi 2 Avril 2019, allez, dernier tour sur les bords du Titicaca avant d'aller visiter La Paz. On prend une piste qui nous emmène au fin fond des champs boliviens. au pied du "Dragon dormido" dont on suppose qu'il s'agit d'un volcan endormi en espérant que ce soit pour l'éternité ...
Santiago de Okola ou la vie comme autrefois. Immuable, imperméable au temps qui passe.
Mercredi 3 Avril 2019, malheureusement il a plu toute la nuit et la situation n'est pas mieux ce matin. Nous avons mal dormi (malgré des voisins peu gênants), un peu stressés car la piste empruntée hier doit être boueuse, gorgée d'eau. On ne traîne pas, tant pis pour nos projets de balade, nous n'avons pas envie de rester bloqués ici, Cyriaque a un avion à prendre et La Paz à visiter !
Finalement la piste est encore praticable, on retrouve le bitume avec soulagement. Le lac semble encore plus mystérieux dans la grisaille. On aperçoit une île en Totora, ce jonc du Titicaca, ainsi qu'une embarcation toute neuve. Folklore ou habitation ? En Bolivie ce type d'habitat n'est plus du tout habituel contrairement au Pérou où quelques familles vivent encore sur ces îles flottantes de manière très traditionnelle.
Le lac Titicaca s'éloigne, on retrouve la frénésie des routes encombrées de camions pollueurs et d'ordures en tout genre. Il nous reste un peu de temps pour aller visiter un site pré-colombien à l'ouest de La Paz, sur la route qui mène au Pérou.
Tiwanaku
A première vue le site ne fait pas rêver. De La Paz on longe une plaine plutôt désolée, 70 km parsemés de villages tristes.
On trouve facilement une place pour Philéas sur l'immense parking désert. Il est 14h, on sort de quoi déjeuner rapidement. Et nous avons la surprise de voir arriver un camping car Français que l'on reconnait. Une famille rencontrée à San Pedro de Atacama. Aloys est trop content de revoir Lucie et Fanny, les petites Pauz'ailleurs !
Pour découvrir la civilisation pré-Colombienne de Tiwanaku la visite commence au musée. On y apprend que cette civilisation a vécu entre 100 et 1100 après JC , qu'elle a atteint son apogée avec une population de 3 000 000 d'habitants et qu'elle a disparu au XII ème siècle. Les Tiwanaku réalisaient de magnifiques poteries et la construction de leurs temples à l'aide de gigantesques blocs taillés à la perfection laissent penser que les Incas ont copié leurs techniques et seraient même les descendants de ce peuple ingénieux.
Sur le site a été retrouvé un magnifique monolithe haut de 7m et pesant plus de 20 tonnes. La roche dont il est fait se trouverait de l'autre côté du lac Titicaca, un exploit pour la transporter jusqu'ici alors que ce peuple ne connaissait pas la roue.
Un mur étrange avec des têtes en relief dont les traits ne sont pas andins mais plus "exotiques". Un des mystères de Tiwanaku.
Et toujours cette question : comment ont ils fait pour amener jusqu'ici ces énormes blocs de pierre venant d'ailleurs ? La théorie des rondins ne fonctionne pas ici, à 4000 m d'altitude il n'y a pas de bois. Un peu plus loin, sur un autre site il y aurait les vestiges d'un port .... mais le lac Titicaca est à 15 km ... Il était à ce niveau certes mais il y a 12 000 ans ! de là à dire que Tiwanaku existait il y a 12 000 ans. Le mystère reste entier et les théories s'enchainent sans véritables réponses.
Ces monolithes représentent le prêtre et le sage.
La porte du soleil servait pour les solstices.
Aloys et les filles se défoulent avant l'orage qui menace. Une dernière photo à la porte de la lune, le gardien siffle la fin de la visite. Il est trop tard pour repartir à La Paz, on décide tous de dormir sur place. Tiwanaku gardera ses mystères.