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400 km sur la RP1, ça commence bien, ça finit ...

Jeudi 25 Octobre 2018, on quitte Puerto Madryn et les baleines avec tristesse. Notre bivouac pour ce soir n'est pas très loin, 70 km environ. La mer, encore, mais sans charme et beaucoup de vent. On s'installe rapidement sur la plage de Playa Union et on s'endort en essayant d'oublier le bruit des rafales.

Vendredi 26 Octobre 2018, Aloys a terminé son année scolaire ! VACANCES pour tout le monde ! Pour fêter ça on l'emmène dans la ville d'à côté, Trelew, (Tréléou) fondée par des Gallois d'où son nom. C'est non loin d'ici qu'on a découvert le plus grand dinosaure de la planète, le Patagotitan, 20 m de haut, 35 m de long, 62 tonnes, énorme !

Un musée sympa et bien fait raconte, entre autre, la découverte de ce géant. De quoi bien nous occuper dans cette petite ville sans aucun autre attrait.

A la sortie de la ville on se lance sur la RP1, la route provinciale, non goudronnée mais parfaitement tracée.

Au loin, sur la pampa, le ciel semble menaçant. On croise des tatous timides mais au lieu de les poursuivre on file pour atteindre la playa Isla Escondida avant la nuit. A notre arrivée l'orage gronde. En contrebas la plage semble déserte, rien qu'à nous. Il y aurait des éléphants de mer mais la nuit commence à tomber, on ne les voit pas. On roule un peu sur la piste pour trouver un emplacement à peu près plat lorsque nous apercevons deux véhicules bien connus, ceux de nos joyeux retraités quittés quelques jours avant à Valdes ! Gaspard manœuvre pour se garer non loin d'eux et ... Philéas se plante dans le sable mou difficile à voir avec le manque de luminosité !

On sort les pelles, on creuse, on pousse, rien n'y fait et la pluie commence à tomber. Alors Philippe met en marche son gros Iveco, on tend une sangle et en deux minutes Philéas est tiré d'affaire ! On trouve un emplacement bien dur et évidement cette histoire se termine autour d'un joyeux apéro !

Playa Isla Escondida

Samedi 27 Octobre 2018, la pluie a lavé le ciel, une journée estivale nous attend, grand soleil à partager avec des mastodontes qui se sont posés sur la plage, comme échoués. De la même famille que les phoques ce sont les mâles dominants qui ont un nez en forme de trompe ce qui leur vaut le nom d'éléphants de mer. Ils peuvent plonger jusqu'à 1500 m pendant 120 mn ce qui leur permet d'aller débusquer les calmars. Les mâles mesurent 4 m et pèsent environ 2 tonnes, des monstres.

C'est quand même fou de les voir d'aussi près. On ne s'approche pas trop non plus, on sait qu'on doit respecter une certaine distance de sécurité mais ils semblent très tranquilles et pas du tout dérangés par notre présence.

Une femelle et son adorable petit, un gros mâle isolé somnolent sur le sable qui chauffe. Ils ont des bouilles incroyables !

Les combats entre mâles laissent des cicatrices, celui-ci doit être téméraire. De temps en temps il ouvre un œil et se gratte mollement. S'asseoir et partager une plage avec un tel animal est un moment fabuleux !

Comparé à son père celui-ci est à bouffer, on craque complètement ! Surtout quand il ouvre ses deux billes bien rondes.

Philippe s'aventure un peu plus près ce qui nous donne une idée de la taille de la bestiole.

Un peu plus loin la colonie s'est groupée. On les regarde pendant des heures, le mâle dominant veille sur son harem et grogne, très intimidant, pour repousser les plus audacieux. On rigole car ils font des bruits bizarres. Aloys finit par faire sa sieste à deux pas de la troupe.

Les bébés ont une fourrure bien chaude qu'ils perdent petit à petit.

 Ce bébé vient de boire son lait ! Adorable non ?!

Après cette matinée mythique nos amis reprennent leur route tandis qu'on décide de rester une nuit de plus pour profiter de cet endroit magnifique. L'eau est presque couleur lagon, sublime.

Mais la journée se gâte, il fait tellement beau que des tas de voitures arrivent au fil des heures. Des pêcheurs, des campeurs mais surtout des emmerdeurs avec des quads ou des motos. Nous sommes samedi et les Argentins n'ont pas peur de faire des km de ripio pour venir profiter du grand air et faire des asados. Mais ils n'ont aucun sens du respect de la nature et nous sommes choqués de voir des ados faire des aller-retour sur la plage avec leurs engins insupportables faisant bien évidement fuir les animaux. Choqués aussi par le nombre de déchets qui jonchent les plages après leur passage, ils jettent par terre canettes, bouteilles ou sacs en plastique, rien ne leur fait peur.

Dimanche 28 Octobre 2018, On a quand même passé une nuit tranquille et après une matinée à réparer quelques trucs on plie bagage un peu en colère contre le manque d'éducation des habitants. En repartant nous croisons une voiture de police qui va vers la plage, on se demande bien pourquoi.

Au fil de la RP1 les paysages changent et la route devient plus sableuse. Nous y sommes absolument seuls.

On traverse des estancias matérialisées par des piquets sur lesquels sont parfois accrochés des cadavres d'animaux, ici un chat sauvage, le gato Montes mais aussi des renards, souvent.

On s'arrête pour pique-niquer au Cabo Raso, ancien village déserté après la construction de la Ruta 3 qui passe plus au nord. Une famille tente de faire revivre les lieux et d'entretenir le tout petit cimetière, bien tranquille sur ce cap sauvage.

Un peu plus loin c'est Camarones, petit port de pêche du bout du monde. Philéas se pose au bout du village, discret !

Dimanche 28 Octobre 2018, on ne risque pas de se perdre dans les rues perpendiculaires de Camarones. Ici c'est le royaume de la pêche au saumon et de la grosse crevette. Mais il n'y a pas de poissonnerie et les magasins sont plutôt sommaires ! On demande donc autour de nous où trouver des "langostinos" fraiches, un monsieur nous emmène chez lui et nous en vend 2 kg pour l'équivalent de 4 euros ! Ravis on repart avec nos futurs repas, orgie d'iode en perspective.

La petite église est en pierre mais les premières maisons des courageux pionniers sont recouvertes de tôles peintes.

A côté du port de pêche et de ses deux bateaux qui ont déjà bien vécu, la maison Rabal, le supermarché local, en activité depuis sa construction en 1901 !

On y trouve de tout mais surtout le charme et l'ambiance d'un vrai lieu de rencontre où tout le monde se connait. On ne passe pas inaperçu et on fait notre marché sous le regard étonné et curieux des habitants.

Le plein est fait, il fait un temps de rêve, parfait pour continuer à rouler sur la RP1 vers le Cabo dos Bahias, 30 km mais 2h plus loin.

Cabo dos Bahias c'est l'alternative à Punta Tombo, plus au nord, la grande et touristique pinguinera de manchots de Magellan que nous avons décidé de ne pas visiter. Ici il n'y a presque personne, des manchots et des guanacos. Comme à Valdes c'est la saison de la nidification, les parents se relaient pour couver leurs deux œufs à l'abri des terriers et se nourrir dans l'océan. Le sol est constellé de trous, il doit y avoir pas mal de propriétaires. Une passerelle traverse la zone, on peut les observer pendant des heures sans les déranger, seuls avec eux, complètement mythique !

On les regarde se dandiner de la plage à leur nid, s'ébrouer en sortant de l'eau dans laquelle ils nagent comme des flèches, tordre le cou, braire un peu comme des ânes pour communiquer. Ils sont mignons et attendrissants. On assiste aussi au vol des œufs par les oiseaux marins, pas de place à l'erreur, c'est la loi de la jungle. Aloys a du mal à le comprendre et surveille la zone pour faire fuir les prédateurs qui tournent.

Plus on descend vers le sud et plus les jours rallongent, on profite des heures supplémentaires pour avancer tranquillement tout en essayant d'attraper au vol la rare faune qui veut bien se montrer. De temps en temps un mara détale dans la pampa. C'est un gros rongeur qui bondit comme un lièvre.

La nuit finit par arriver alors on se cale au bord de la piste. Nous n'avons croisé aucun véhicule depuis ce matin ... On ne risque pas d'être dérangés dans notre sommeil. On peut profiter des bruits de la pampa, juste le cri d'animaux inconnus.

Lundi 29 Octobre 2018, tient un véhicule nous a croisé ce matin, des Allemands. Mais ils filent vite, nous revoilà seuls pour faire les 80 km qui nous ramèneront sur la Ruta 3. On hésite un peu car la carte indique des passages de rivières, en principe à sec. On fera demi-tour si besoin.

Première rivière, on descend pour examiner le passage, échaudés par notre plantage d'il y a quelques jours. Mais ça passe sans problème.

On aime cette piste déserte, les paysages sauvages, les traversées d'estancias immenses dont il faut parfois ouvrir et bien refermer les barrières pour empêcher les moutons de fuir chez le voisin. Aloys est le préposé aux barrières, c'est un moyen de se défouler, les journées de route sont parfois longues pour lui. Rarement on croise une maison , tellement isolée, mais qui peut vivre ici ?!

Rivière en approche. Petit stress. Préparation du terrain. On serre les dents. Mais ça passe ! Rassurés mais on commence à se demander si on a fait le bon choix, la belle piste bien tracée se transforme au fil des heures en chemin de traverse ...

La situation se corse à la rivière suivante. Il faut descendre une pente, traverser un lit de sable raviné puis remonter la pente d'en face sans planter le bas de caisse. On commence à faire quelques travaux pour réhausser et stabiliser le passage entre la rivière et la pente. Je récupère des branchages, Gaspard tasse du sable par dessus. Plusieurs fois on se dit qu'on va faire demi-tour, il n'est pas question de rester planté au milieu d'une rivière qui peut se réveiller brusquement en cas de fortes pluies en amont .... Et soudain on voit un pick-up arriver. Deuxième voiture de la journée et il est 17h30. Deux gauchos sortent pour discuter. Très sûrs d'eux ils nous certifient qu'on passe sans problèmes. Bon. On se dit qu'ils ont l'habitude. Et comme ils sont là on se dit aussi qu'en cas de problème ils nous aideront. Gaspard décide de leur faire confiance, recule, prend son élan, accélère et ... se plante !

On sort le matos, les pelles, les plaques, on creuse mais la situation est tendue. Le gaucho s'imagine tracter Philéas avec son pick-up. Il ne fait que chauffer les pneus et reste en sur-place , rien ne bouge ! Une grosse heure passe, le ciel s'assombrit, je commence à me demander comment ça va se terminer. Gaspard, un peu furieux d'avoir écouté le gaucho, lui demande d'aller chercher un tracteur dans son estancia pour nous sortir de là. Mais il faut faire des km pour la rejoindre. Le gentil gaucho part donc avec son ami en nous laissant dans la rivière... on espère qu'il reviendra avant demain...

Une bonne heure plus tard on voit enfin nos sauveteurs revenir avec le camion d'un "voisin" ! Sauvés ! En quelques minutes il nous tire par l'arrière, c'est le soulagement à bord de Philéas. Mais il est vraiment tard maintenant et on se demande si on doit continuer pour faire la quarantaine de km qui restent ou rebrousser chemin. Le gaucho nous propose d'aller dans son estancia mais nous explique qu'en cas de pluie nous serons bloqués des deux côtés. Il nous affirme que le reste de la piste ne pose pas de problème, on ne sait pas si on doit le croire mais il a bien compris nos limites avec Philéas et nous rassure. Alors on décide d'avancer, on en a marre, on a hâte de retrouver le bitume !  Le camion passe donc à l'avant et nous fait traverser cette fichue rivière pour nous mettre sur le bon chemin.

On remercie chaleureusement notre sauveur qu'on laisse à sa pampa et sans perdre de temps on reprend les commandes, stressés à l'idée de nous retrouver à nouveau seuls et sans aucun moyen de communication pour traverser les deux prochaines rivières.

Finalement on traverse les rivières sans problème mais la fin de la piste n'est pas facile, très sinueuse, étroite et boueuse car il se met à pleuvoir à la tombée de la nuit ! On patine un peu en escaladant les dernières collines et il fait nuit noire lorsque nous voyons enfin des phares au loin. Épuisés on s'arrête, collés à l'ultime barrière qui nous sépare de la ruta 3, bercés par le bruit des semi-remorques qui tremblent sur le bitume, et pour une fois je bénis ce vacarme et la présence humaine ! C'est une histoire qui se termine donc BIEN mais pour nous la RP1 c'est terminé !