Vendredi 17 Août 2018, 9h, fin prêts, sourire béat, nous attendons notre guide dans le hall de l'hôtel. Isaac arrive avec sa petite valise, il embarque avec nous, il sera nos yeux et nos oreilles. Natif de Manaus, c'est un Caboclo, métis de sang indien et brésilien. Il parle très bien notre langue, un vrai plus pour bien comprendre l"univers sur lequel nous allons naviguer pendant trois jours.
Une navette vient nous chercher pour nous conduire de l'autre côté de Manaus, à la marina do Davi où nous attend l'équipage du Lady Mara, notre hôtel flottant.
Embarquement sur le Lady Mara
Il est parfait ce bateau ! Exactement comme je l'imaginais ! On dirait un joli jouet en bois. En bas, le poste de pilotage, la cuisine et trois cabines sommaires avec lit double, un lit simple au-dessus et une étroite salle de bain. Spartiate mais suffisant. Un détail de luxe : la clim ! Mais il faut faire tourner le moteur pour enclencher le générateur, donc bruit ou frais il faudra choisir ! Peu importe, on jette nos valises et on monte sur le pont, notre salon/salle à manger avec vue imprenable et ventilation naturelle. Un petit déjeuner nous attend ! Conquis ! On teste les hamacs confortables, le moteur ronronne, l'ancre se lève, nous voilà partis à la conquête du Rio Negro.
On ne sait déjà plus si c'est un fleuve ou la mer.
Plage de Tupé
Premier constat, le Rio Negro est profondément noir ! Nom validé ! Affluent du Solimoes qu'il rencontre juste après Manaus pour devenir l'Amazone, il prend sa source en Colombie. Chargé de fer et d'humus, ce qui lui donne sa couleur, ses eaux sont très acides, peu propices à l'éclosion des larves ce qui empêche la prolifération des moustiques, c'est pour ça qu'il est plus agréable d'y naviguer que sur l'Amazone. Autre constat, il est bordé de plages de sable blanc plus ou moins grandes en fonction du niveau des eaux. Il pleut de Décembre à Mai, l'eau monte, envahie les berges et la forêt, apporte du limon aux sols pauvres, permet aux graines de germer. En Juin s'amorce la décrue, en Août il ne pleut quasiment pas, en Novembre le niveau est au plus bas, certaines zones s'assèchent complètement puis le cycle recommence, immuable, fragile garantie de la préservation d'un écosystème unique et primordial pour l'équilibre de la planète.
Arrêt à Tupé, plage très fréquentée le week-end par les habitants de Manaus. On ne s'attendait pas à voir ça !
Le contraste entre noir et blanc est étonnant surtout pour nous qui avons l"habitude de marier le sable blanc à l'eau turquoise tropicale. On nous assure qu'il n'y a rien qui rôde sous l'eau sombre alors les courageux s'y jettent ! Le Rio Negro est à 28° toute l'année. Le fer teinte la peau en rouge sous l'eau, auto-bronzant naturel mais éphémère.
Pendant ce temps comme par magie un déjeuner apparait uniquement composé de produits du pays. Le fameux Pirarucu sous plusieurs formes, des salades, des fruits, tout est délicieux, on se régale tandis que le Lady Mara reprend sa route. Pas de houle, pas de remous, pas de mal de mer, le bonheur !
Chez les Indiens
Nouvel arrêt sur les berges du Rio. Isaac nous explique que c'est une communauté d'indiens qui nous attend pour nous faire découvrir leur culture. On se regarde, nous ne sommes pas dupes, tout doit être fait pour le touriste, un décor de cinéma. Il nous affirme que non, que cette communauté vit réellement ici. Certes mais nous ne verrons pas leur village, caché un peu plus haut.
Ils arrivent un par un, ils finissent de mettre leurs costumes, certains devaient faire une petite sieste... Nous entrons sous l'immense hutte, nous sommes les seuls "invités". La déco n'est qu'objets dont on se demande s'ils ne viennent pas tout droit de l'Empire du Milieu ...On est un peu sévères mais on a vraiment envie de faire demi-tour, on déteste ce genre de tourisme et on fait un peu la tronche. On le dit à Isaac qui fait mine de ne pas comprendre, ça fait parti du package qu'on a acheté ...
Mais Aloys, lui, est fasciné. Il a gardé son épée en bandoulière. Il a regardé un film sur Christophe Colomb il n'y a pas longtemps, il est encore dedans ... il s'approche du fils du chef et lui demande de lui apprendre à parler dans sa langue ! Quelques mots bien répétés mais vite oubliés. Amusé l'indien lui tend une flûte et lui apprend à souffler dedans. Ce n'est pas très concluant Tout le monde rit. On se détend.
On nous demande de nous assoir, les danses vont commencer. Trois danses cérémoniales écourtées, elles durent en principe toute la journée pour diverses raisons, le passage à l'âge adulte pour les garçons ou l'enlèvement d'une fille pour la marier de force dans une autre tribu ... A la troisième danse le pont du Nord ne s'effondre pas mais notre réserve si !!! Comment dire non au chef qui vient me prendre la main pour m'entrainer dans sa chorégraphie ?! Gaspard est embarqué aussi et je m'oblige à ne surtout pas le regarder sautiller lui qui n'a pas du tout le sens du rythme ! A hurler de rire ! Aloys entre sérieusement dans la danse au bras de la plus jeune, trop mignon mais un peu crispé, je l'encourage d'un signe. Heureusement, pas de photos pour immortaliser ce moment impérial dans notre vie de voyageurs ! J'ai vu le guide attraper mon appareil mais renoncer assez vite, il a enlevé le cache et a cru qu'il était tombé dans une crevasse dans le sol en terre battue, il l'a donc cherché au lieu d'appuyer sur le déclencheur !
Il nous restera de cette visite une photo "exotique", loin bien loin de nos attentes ... et un gros fou rire !
Mais la journée n'est pas terminée. On reprend notre navigation en remontant vers le lago Acajatuba. Ici le Rio prend ses aises, s'étale dans un dédale de lagunes, paisible comme un lac. Le long des igarapés, les bras du fleuve, vivent quelques familles de Caboclos. Nous sommes à une soixantaine de kilomètres de Manaus.
Lago Acajatuba
Le Lady Mara jette l'ancre dans un bras plus étroit du Rio. On embarque dans la lancha, la pirogue des temps modernes. Rose, notre super cuisinière et Wellington, le sympathique jeune capitaine, restent à bord. Nous les retrouverons dans quelques heures, on part en expédition au cœur de la forêt inondée.
La végétation luxuriante se mire dans l'eau noire, l'air est moite, la forêt bruisse de mille bruits, de chants d'oiseaux, de craquements, de sifflements. On se croit seuls mais de temps en temps on croise un pêcheur, la zone est habitée par quelques familles.
Pour écouter la forêt il faut ramer. Rodrigo, le moussaillon de l'équipage, habile conducteur de pirogue, enseigne à Aloys l'art de pagayer ... en silence , ça c'est plus compliqué !
Il y a des milliers d'oiseaux mais je n'arrive pas à les prendre, je n'ai pas l'habitude de cet appareil photo. Celui-ci est sympa il veut bien poser un peu !
Soudain la végétation s'agite. Il y a du monde dans les feuillages, un groupe de ouistitis. On approche la pirogue. Rodrigo a des bananes. Il les coupe en morceaux pour attirer les petits gourmands. Nous avons appris à Aloys à ne pas toucher les animaux sauvages. Il pose donc les bananes sur le banc du bateau et attend que les singes viennent s'en emparer à toute vitesse. C'est quand même mieux qu'au zoo nous dit-il ! Oui, ça c'est sûr, avoir la chance de voir les animaux dans leur habitat naturel c'est mythique. Mais je n'aimerais pas franchement me retrouver face à un boa ou un anaconda. Pas de risque nous explique Isaac, il parait que ces bestioles ne sortent que la nuit. On le croit ...
Doucement nous continuons à glisser mais Aloys commence à trouver un petit manque d’intérêt au mysticisme dégagé par la forêt ! Cela fait trois heures que nous sommes partis et qu'Isaac nous livre les secrets de son pays. Aloys attrape un bout de corde et se raconte tout seul des histoires de pêcheur explorateur dans la jungle amazonienne, ça tombe bien !
Le jour décline
et la nuit tombe
sur le lac Acajatuba
C'est le moment qu'Isaac attend. Il veut attraper un caïman. Eux aussi ne sortent que la nuit. Et c'est à la lumière des torches que l'on peut apercevoir leurs yeux briller. Moi je ne vois rien du tout mais soudain Isaac fait un signe à Rodrigo qui enclenche la seconde et nous précipite vers la berge. Je vois Isaac se jeter en avant, je m'attends à le voir lutter contre une féroce bestiole, je lui chevrote un "fais attention", je serre Aloys contre moi prête à tout pour défendre ma progéniture contre la dangerosité de la jungle, je retiens mon souffle ...
... et il sort de l'eau, victorieux, l'animal repéré ! Ouf ! Quelle aventure ! Je rigole, secrètement soulagée par la taille raisonnable du bébé ! Pour Aloys c'est déjà énorme de tenir un caïman dans ses mains ! Il est trop content bien sûr !
Mais il est temps de retrouver le Lady Mara, 4h dans une pirogue, même moderne, ça creuse. On relâche nos captures et on met les gaz. Il faudra encore de longues minutes de navigation au clair de lune et toute la compétence et connaissance de Rodrigo pour éviter les écueils avant de pouvoir nous affaler dans les hamacs, une caïpirinha délicieuse à la main. Fourbus mais parfaitement heureux !