Merzouga, I had a dream ...

Dimanche 8 Avril 2018, il y a deux jours nous étions dans les montagnes du Moyen Atlas, deux jours durant lesquels nous avons changé radicalement de climat, de paysages, d'ambiance. Au fur et à mesure que l'on avale les kilomètres se dessinent les premiers signes de l'approche du désert, le ciel bleu pur, l'air doux, les palmiers. Je trépigne d'impatience mais il faut encore descendre la vallée du Ziz puis longer l'immense palmeraie de Tafilalet, "lieu qui domine l'eau", la Mésopotamie marocaine en danger à cause de la sécheresse persistante et du bayoud, un champignon microscopique qui attaque les palmiers-dattiers. Des villages fortifiés, les ksour, sont encore habités mais beaucoup s'écroulent et sont remplacés par du béton ...

Et puis, enfin, au loin, se dessinent les dunes, comme un mirage ...

Pour Aloys qui fêtera ses 7 printemps dans quelques jours nous trouvons l'endroit idéal, nommé La Chance ! une oasis juste au pied des premières dunes de l'erg Chebbi. Une piscine au milieu des oliviers dans un joli patio ombragé ceint de murs en terre pour tenter d'empêcher le sable de s'y inviter. Philéas trouve sa place exactement devant la première dune , ici commence le Sahara !

Quoi de mieux pour allumer des étoiles dans les yeux d'un enfant et dans les nôtres aussi ! " Toutes les grandes personnes ont d'abord été des enfants mais peu d'entre elles s'en souviennent" disait le Petit Prince ,,, aujourd'hui, nous on s'en souvient, émerveillés par les couleur de cet océan si différent de celui dont on a l'habitude. Le regard se perd dans l'immensité orangée, la douceur du sable est infinie et je vais toucher du doigt l'un de mes rêves d'enfant, marcher sur l'arête parfaite d'une dune façonnée par le vent, comprendre l'émotion de Charles de Foucauld , la quête de Théodore Monod, l'inspiration de Saint Exupéry. Je m'emballe là ...

Lundi 9 Avril 2018, Philéas tangue comme un palmier dans le vent qui se déchaine . Je suis en transe, une tempête de sable au Sahara, pour de vrai ! Mythique ! L'horizon est gommé, les couleurs s'éteignent, les grains fins fouettent tout, s'infiltrent partout. C'est fascinant de voir la vitesse à laquelle les traces de vie s'effacent.

On profite d'une brève accalmie pour se défouler après une séance scolaire intense. S'élancer du haut d'une dune, tomber dans le sable doux, grimper et recommencer sans se lasser. Puis de sa fenêtre voir passer au loin la caravane sans entendre le moindre chien aboyer ...

Mardi 10 Avril 2018, la chance ! La tempête s'est éloignée pour notre road trip en 4x4 avec chauffeur Hassan. 8h30, musique arabe à fond, moumoute sur le tableau de bord, ambiance au top pour aller voir ce qui se cache derrière l'océan. L'erg Chebbi c'est 20 km de dunes entourées d'une vaste plaine brûlée par le soleil qui longe la frontière Algérienne dont se moque le sable, il passe à travers les pays et s'appelle Sahara ici comme là-bas.

Rose, orange, doré cèdent leur place au noir un peu inquiétant. Cet univers hostile recèle mille fossiles marins dont de superbes carapaces de tortues. Il n'y a qu'à se pencher pour trouver des traces d'une vie marine jadis foisonnante. Les entrailles cachent des filons d'anthracite dont on tire le fameux Khôl. Les mines sont encore exploitées par une poignée d'hommes qui creusent de façon archaïque et tentent de vendre le fruit de leur dur labeur aux touristes de passage pour quelques dirhams, toujours avec ce sourire dans les yeux ...

L'air est si sec que des tourbillons se forment un peu partout. On se prend alors pour des chasseurs de tornades, on les voit foncer droit devant, on tremble et pffuit , ils s'évanouissent aussitôt . Les djinns du désert s'amusent !

Surgit de nul part une casbah de terre dont Hassan nous explique qu'elle lui appartient et que c'est ici que nous déjeunerons d'une pizza berbère à l'ombre d'un unique tamaris. Une pizza ??? Berbère ??? Très fier, Hassan nous livre sa recette inventée, viande hachée, épices et légumes enfermés avec dextérité dans une pâte à pain et cuite sur des pierres chauffées au bois. Trop fort ces berbères !

Après ce festin nous partons à l'assaut de cette autre face du désert, happés par la pureté de la luminosité... Silence...

Sur le chemin du retour Hassan m'oblige presque à prendre une photo de "l'avion de Saint Ex"... rires ...

Notre petit prince a sept ans aujourd'hui. L'âge de raison dit-on mais avec encore la rondeur de l'enfance. Ce grand voyage c'est pour lui que nous l'inventons chaque jour, notre petit garçon au caractère trop trempé, mille fois et mille fois têtu mais si tendre, si curieux de tout, si spontané . Les sens en éveil, il engrange tout ce qu'il voit, entend, sent, touche. Lui manque encore l'envie de goûter ...

La journée commence par un gâteau bien sûr. De la poudre de perlimpinpin , quelques œufs, beaucoup d'amour, un four à gaz allumé pour la première fois, on croise les doigts ... Pas de bougies, tant pis, on fera avec les moyens du bord. Et c'est là qu'intervient un couple adorable de retraités Hollandais qui aborde Aloys à la piscine en lui tendant un paquet et une petite enveloppe ... Dans le paquet, des gaufres Hollandaises et dans l'enveloppe ... une jolie carte pop-up avec sept bougies en papier !!! Ils ont entendu la veille que c'était son anniversaire et ont écumé les placards de leur camping-car. Ils nous expliquent qu'ils ont l'habitude de fêter leur anniversaire un peu partout, ils ont donc toujours des bricoles sur le sujet. Mais là, quand même, une carte avec 7 bougies sachant qu'ils n'ont même pas de petits-enfants ! La chance! Hyper touchés nous les invitons à se joindre à notre déjeuner au restaurant la Chance. Salade marocaine, tajine et ... Flamby en dessert, servi retourné sur une assiette, la classe ! Je n'ai pas osé prendre une photo ... gros fou rire !

Le vent s'est remis à souffler très fort mais avec nos bougies en papier nous sommes plus forts que lui et pouvons sereinement immortaliser le passage d'une nouvelle année et le sourire plein de bonheur d'Aloys dans les dunes du Sahara. Que lui souhaiter de plus ?

"Fais de ta vie un rêve et d'un rêve , une réalité"  ...

Nous lui avions réservé un tour dans le désert à dos de dromadaire au coucher du soleil, le vent souffle vraiment trop, on reporte à demain matin mais nos amis Hollandais partent courageusement à l'assaut, eux. On les récupère transis et ensablés et on se réconforte au chaud dans Philéas autour d'une bonne bouteille. Rencontres furtives, on apprend à apprécier l'instant présent, simplement. Merci .

Jeudi 12 Avril 2018, une fois de plus la chance nous sourit, plus de vent ce matin, les dromadaires nous attendent au pied de la dune. Mais avant ça Gaspard file acheter la panoplie réglementaire du parfait touriste ! La négociation bat son plein tandis que chauffe l'eau du thé à la menthe. Un cours rapide de nouage de chèche plus tard et le voilà paré du fameux bleu touareg.

J'ai l'image de cette photo en sépia dans mon salon, mon arrière-grand-mère assise gracieusement sur la bosse d'un camélidé ! Plus gracieusement que moi qui m'accroche de toutes mes forces en tentant de faire ami ami avec ma monture, je ne le trouve pas très souriant et ça m'inquiète ! Mais il se lève sans me mettre par terre, avance dans un lent balancement et sa foulée légère effleure le sable. Courageusement je m'enhardis à lâcher une main pour prendre une photo...

De sa hauteur la vision change, l'esprit s'évade, on ne serait même pas étonné si on voyait passer Lawrence d'Arabie ... Et entre deux rêveries romantiques je fais un constat : mais que c'est petit une crotte de dromadaire ! Heureusement ! Autre constat, quand on grimpe au sommet d'une dune on a envie d'aller voir ce qui se cache derrière la suivante, puis la suivante, un appel irrésistible, comme celui du vide. En attendant, les dunes il faut les escalader et certaines sont hautes et très raides. La plus haute de l'erg fait 150 m.

Il faut malheureusement rebrousser chemin en laissant derrière nous nos rêves de grands explorateurs. Nous enfourchons nos bosses, à l'aise ! Cette petite expérience aux portes du Sahara restera un très beau souvenir de ce voyage qui débute à peine mais qui nous comble déjà. Aloys aura du mal à quitter ce sable, terrain de jeu merveilleux pour un petit garçon qui, j'espère, gardera longtemps au fond de sa mémoire l'empreinte de cet anniversaire pas tout à fait comme les autres.