Jeudi 29 Mars 2018, nous quittons Chefchaouen sous la brume et prenons la route de Fès à 200 km. Arrêt déjeuner aux abords de la ville de Ouazzane, keftas, salades, les menus sont toujours alléchants et plein de saveurs pour plus ou moins quelques dirhams ( c'est un peu à la tête du client, pas de carte, pas de prix !). Les collines défilent, vertes, il y a eu pas mal de pluie cette année et de la neige aussi. On s'amuse sur la route entre un âne qui débouche d'une rue sans prévenir, un van bourré à craquer de carottes, un casque rose porté crânement, des moutons n'importe où ! Mais on s'énerve aussi contre la saleté, les déchets en liberté totale, les constructions jamais terminées .
Nous passons la nuit au calme dans un camping de la banlieue. Le vendredi étant gris et limite pluvieux nous restons sagement à l'abri de Philéas et c'est le lendemain sous un beau ciel bleu que nous franchissons l'une des nombreuses portes qui trouent les remparts de la vieille médina de Fès el Bali. Bab Bou Jeloud, porte aux céramiques bleu de Fès à l'extérieur et vert couleur de l'islam à l'intérieur. Le flot des touristes s'y engouffre, nous tournons dans l'autre direction et tombons sur un coiffeur, Aloys s'y colle, pas franchement ravi de l'aubaine et ressort avec une belle frange ...!
Après cette entrée en matière nous pénétrons au cœur des ruelles étroites, riant de toutes nos dents en levant les yeux vers des détails insolites ! Fès n'a certainement pas beaucoup changé depuis des lustres, loin d'être une médina pour touristes elle grouille de ses habitants qui font perdurer les artisanats magnifiques, les marchés, les boulangeries, les boucheries ( dont celles qui annoncent de façon très explicite la tête de leur viande!), tout un panel de saveurs au milieu des livreurs pressés qui crient "balek, balek" pour que le passant nonchalant laisse les mules chargées se frayer un passage. On est très vite saoulé par la diversité des odeurs, les couleurs, les bruits, les animaux de tous poils; on passe du fumet du pain frais à celui de l'étal du poissonnier puis vient l'odeur exceptionnelle du bois de cèdre présent partout, celle du cuir bien sûr, du crottin des ânes, des ordures qui s'amoncellent dans des recoins, des épices disposés en tas bien agencés, des bouquets de menthe ... on renifle, on fronce le sourcil, on hume, on respire, on plonge dans un univers à l'opposé de nos grandes surfaces aseptisées, on retrouve le goût, les autres, les sens heurtés de tous les côtés. Les sourires, les Salam, pas une minute sans un échange, on papote ou juste un petit signe de la main, Et bien sûr on finit par se perdre dans ce dédale, ce qu'attendent avec impatience les enfants à l'affut d'un dirham ( ou plus !) pour guider le malheureux aux pieds en compote vers la sortie du vieux labyrinthe.
Mais il faut reprendre la route touristique, se laisser pousser par le flot et accéder aux terrasses des boutiques de maroquinerie pour plonger dans la palette de couleurs des tanneries Chouara, un bouquet de menthe collé sous le nez pour éviter la nausée immanquable selon le vent. Munis du "masque à gaz" (selon la formule éculée du gars qui fournit la dite menthe) on peut enfin se prendre pour Yann Arthus-Bertrand en mitraillant les cuves odorantes, fasciné par le ballet qui se joue en contrebas. Hélas, le résultat ne sera pas à la hauteur de mes espérances pseudo-artistiques, Yann a encore de beaux jours devant lui même si c'est facile pour lui car vue du ciel il manque le fumet ...
Trop de babouches tuant la babouche on ressort sans babouches ! Et on se perd à nouveau entre noix d'argan et poudres de tout puis dans l'intérieur feutré d'un hammam au somptueux plafond de cèdre guidé par un Mustafa passionné, on laisse Aloys pantois devant un manège écolo, on repartirait bien avec une cargaison de ravissantes poteries, on imagine la mariée parée au henné qui héritera de ce trône immaculé !
On achète un sac de dattes, quelques olives violettes, des pains chauds, une poignée de fèves, des légumes plus que bio, un joli panier pour tout trimballer, on scrute la salade, le kilo de mandarine, pas de prix affichés, ici on a le temps de jouer à la marchande !
La nuit tombe, Fès grouille encore mais nous abdiquons et la laissons à son exubérance et à ses âmes, celles d'hier et d'aujourd'hui qui se côtoient dans un joyeux bazar. Philéas nous semble un peu trop calme ce soir (un peu trop rangé aussi) !